Thursday, September 10, 2009

2009.09.33

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Françoise Dumasy, François Queyrel (ed.), Archéologie et environnement dans la Méditerranée antique. École pratique des Hautes Études, Sciences historiques et philologiques III. Hautes études du monde gréco-romain, 42. Genève: Droz, 2009. Pp. x, 276. ISBN 9782600013420. $120.00 (pb).
Reviewed by Philippe Boissinot, École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Toulouse, Laboratoire TRACES,CRPPM

[Table of contents is given at the end of the review.]

Ce recueil de 13 articles aux longueurs très inégales est la publication de deux colloques internationaux organisés en 2003 et 2004 à Paris par la Société française d'archéologie classique, l'un sur les Paysages antiques et l'autre sur les Villes fluviales et maritimes. Il réunit majoritairement des contributions d'archéologues, mais également de géographes intéressés par des questions de morphologie aux abords des sites archéologiques; ils sont tous d'origine européenne et continentale (France, Belgique, Allemagne et Italie) et s'expriment en français. Les articles sont regroupés dans de grandes aires géographiques (Grèce et Asie mineure, Italie, Orient hellénistique et romain, Gaule) et sont abondamment illustrés, en noir et blanc dans le texte, en couleur dans les 16 planches finales de très bonne qualité. On regrettera l'absence systématique de résumé, surtout pour les présentations les plus longues et détaillées où le lecteur a tendance à se perdre. L'avant-propos des éditeurs qui ouvre le recueil est particulièrement succinct et ne supplée en rien l'absence de véritable introduction ou de conclusion. L'article méthodologique de Philippe Leveau placé en tête d'ouvrage n'est pas une réflexion générale, notamment à propos des contributions qui suivent, mais plutôt une analyse personnelle de son propre parcours et de celui de ses élèves ou collaborateurs, inscrit il est vrai dans toute une tradition historiographique. Il en résulte une impression de forte disparité qui tient à la nature des approches, lesquelles font parfois appel, et de manière (trop) ponctuelle à des collaborations extérieures (dites interdisciplinaires), et se réfèrent à des conceptions de l'environnement relativement variées; si bien que l'on a l'impression que certaines thématiques académiques telles que l'appréhension du périurbain, l'exploitation des ressources naturelles ou encore la question de la topographie antique ne sont ici que recyclées à nouveaux frais, sans que les relations entre l'homme et le milieu ne soient véritablement pensées. Ces recherches en cours, pour la plupart incomplètement abouties, montrent cependant que le temps de la spéculation est dans ces domaines de l'Antiquité en voie d'être révolu, suivant de quelques années les innovations de spécialistes des périodes plus anciennes; on remarquera également que le fait urbain y occupe une place centrale, sans être exclusive, de même que la question du rapport à l'eau, quelle qu'elle soit, fluviale, maritime ou palustre. Enfin, on ne trahira pas les éditeurs en précisant que les cas concrets sont ici favorisés au détriment d'interrogations plus conceptuelles qui existent également ailleurs dans la littérature archéologique française.

Après avoir retracé de manière continuiste l'histoire des études françaises sur les paysages de l'Antiquité, un parti pris peu convaincant de l'auteur, Philippe Leveau montre en quoi ces nouvelles analyses peuvent trouver un écho dans des questionnements très actuels, comme ceux concernant la préservation des paysages (ceux-ci pouvant être également culturels) ou la prise en compte des risques naturels. Rejetant des approches trop primitivistes, il suggère que les Romains avaient déjà parfaitement conscience de la vulnérabilité de leurs sites urbains, pouvant se déprendre des aléas naturels lorsque la cité en avait les moyens. À Rome, terrain d'étude privilégié pour la question du risque fluvial, un système complexe avait été envisagé pour lutter contre les inondations du Tibre, même si celui-ci n'a jamais été véritablement mis en oeuvre. Concernant le paysage en général, l'auteur considère la polysémie du concept comme une vertu et, rappelant que celui-ci n'existe qu'en fonction de l'homme qui le regarde, un moyen d'approche privilégié pour les relations hommémilieu. Dans ce cadre, la géoarchéologie, qu'elle soit analytique ou dynamique, s'avère particulièrement adaptée pour se mettre à l'écoute des questions environnementales et se livrer à une relecture des textes classiques.

Bien que recourant à quelques données géomorphologiques (carottages, cartes), la présentation que fait Peter Scherrer du site d'Ephèse demeure relativement conventionnelle : la question de la topographie antique de ce grand port de l'Antiquité, aujourd'hui largement en arrière du trait de côte, est abordée par l'étude des textes antiques, l'histoire des fouilles et une discussion sur la chronologie des occupations dans l'espace. Le propos montre toute la difficulté de l'exploitation des documents archéologiques dans un secteur urbanisé, avec des recouvrements sédimentaires parfois importants et évolutifs, qui plus est en relation avec une dynamique urbaine extrêmement complexe (changement de site), que l'ambiguïté de certains textes antiques est bien loin de résoudre.

L'analyse de la progradation de la plaine de Thessalonique présentée par Matthieu Ghilardi s'appuie principalement sur des méthodes mises au point par les géographes et les naturalistes : il s'agit de forages légers dans les zones alluviales et de l'examen des photographies aériennes (paléochenaux), l'ensemble étant synthétisé grâce à un Système d'Information Géographique. Les données historiques et archéologiques constituent des jalons utiles dans cette reconstitution dynamique, qui nécessitent parfois une relecture mieux adaptée du contexte ainsi révélé. Il apparaît que le comblement du golfe en question s'est produit plus anciennement que supposé, à partir de 3000 av. J.-C., la configuration actuelle n'étant acquise qu'à l'époque romaine.

Le même phénomène de progradation deltaïque est étudié par Eric Fouache sur deux sites de la côte occidentale des Balkans, en Albanie (Apollonia) et en Grèce (Oeniades). Les méthodes sont à peu près les mêmes que dans l'article précédent (tous les deux sont géographes, le premier est l'étudiant du second), et permettent en outre de résoudre la question de l'emplacement des deux ports antiques maintenant coupés de la mer. L'auteur constate un emballement de l'alluvionnement depuis un demi millénaire, coïncidant avec l'occupation ottomane du secteur, période où l'on situe également la péjoration climatique du petit âge glaciaire. Ce phénomène de progradation est relativement continu depuis 6000 ans et a profondément bouleversé le trait de côte, en particulier aux abords des deux ports étudiés, le premier (Apollonia) étant alors plutôt fluvial en arrière d'un cordon littoral, et le second (Oeniades), véritablement maritime et ouvert sur une baie.

Les travaux de Frank Vermeulen dans le bassin versant de la Potenza, petit fleuve des Marches en Italie, se jetant dans l'Adriatique, relèvent principalement de la prospection archéologique, celle-ci pouvant être pédestre ou aérienne, mais se voulant la plus systématique possible. S'intéressant à l'évolution de la complexité sociale autour des deux millénaires de part et d'autre du changement d'ère, l'auteur oppose, comme on pouvait s'y attendre, un modèle d'occupation picène (protohistorique), avec des sites fortifiés dominants, à un autre lui succédant et montrant les effets de la romanisation; pour cette deuxième période, les résultats de la photographie aérienne sont particulièrement révélateurs, la trame urbaine des agglomérations apparaissant en toute clarté. Manifestement, l'exploration des données géomorphologiques qui est au programme n'a pas encore livré d'informations pertinentes.

Henri Broise et Vincent Jolivet conduisent depuis quelques années des recherches sur la cité hellénistique et le territoire de Mursana en Étrurie méridionale. Ils exposent ici de manière relativement conventionnelle les données concernant l'exploitation des ressources naturelles (eau, bois, pierre) et la structuration des paysages humains (profanes) et sacrés, ces derniers aspects étant examinés à des échelles diverses. Ils constatent une imbrication des pratiques agraires et funéraires et mettent l'accent sur les techniques antiques de la viticulture, attestées par des vignobles (tranchées de plantation repérées en fouille et en prospection géophysique) et des fouloirs rupestres, nombreux autour du site, mais malheureusement indatables.

En établissant des relations entre l'évolution de la topographie locale et l'occupation des lieux, Stefano Bruni reprend le dossier complexe des ports successifs de Pise qui est maintenant, depuis 1998, particulièrement bien illustré par les découvertes exceptionnelles de 15 navires et d'un quai à proximité de l'actuelle place du Dôme. La description de ces épaves qui occupe plus de la moitié de l'article livre des indices sur les trafics commerciaux qui ont concerné la cité entre le VIe s. av. J.-C. et sa destruction durant l'Antiquité tardive; son intérêt est plus d'ordre économique qu'environnemental au sens que les éditeurs ont voulu donner dans cette ouvrage.

Marie-Françoise Boussac conduit des recherches sur les modifications de l'environnement qui ont affecté le port de Taposiris Magna dans l'arrière pays d'Alexandrie en Egypte; ce site était à l'époque impériale considéré comme l'avant port de la grande métropole du delta et avait en particulier des fonctions douanières, connues par les textes. L'auteur a mis en oeuvre un programme pluridisciplinaire (géomorphologie, géophysique, archéologie) pour étudier les modalités d'aménagement du port depuis l'époque hellénistique jusqu'à la période byzantine. Les premiers résultats montrent qu'une inondation au Ier s. av. J.-C. provoque l'abandon de tout un quartier commercial, suivi par le creusement d'un chenal et la création d'un port artificiel qui ont complètement modifié le paysage lacustre et assuré le succès commercial que l'on sait.

L'article de Jean-Marie Dentzer est le plus long de l'ouvrage et s'intéresse plus particulièrement à des questions d'urbanisation en milieu aride; il ne concerne que très marginalement des questions environnementales, sous l'aspect des ressources en eau utilisées et aménagées par les Nabatéens et sur la question des paysages naturels investis par ces populations devenues peu à peu en partie sédentaires dans le courant du Ier siècle avant notre ère. L'auteur se propose de comparer trois villes nabatéennes, Pétra la capitale, Hégra et Bosra, pour définir un style qui leur est propre, et estimer leurs capacités d'adaptation diverses face aux stimuli que constituent les modèles hellénistiques et romains. Il reconnaît l'empirisme des Nabatéens dans de nombreux domaines et propose que leur capitale, Pétra, ait servi de référence identitaire dans leur manière d'occuper et d'organiser l'espace.

Luc Long est spécialiste d'archéologie sous-marine : on ne s'étonnera pas qu'il présente principalement dans ce dossier sur le port d'Arles les découvertes d'épaves dont il est l'inventeur. La majeure partie de l'article est en effet consacrée à la description des navires et de leur contenu (amphores, lingots de fer) qui offrent des informations inestimables sur les échanges. Si l'on pouvait se douter qu'Arles était un important carrefour de voies maritimes et fluviales, à la fois comme lieu de débarquement et de transvasement, il était moins attendu que son port ait été véritablement double (duplex Arelas) : fluvial aux abords directs de la ville, cela va de soi et les découvertes en cet endroit complètent les données déjà acquises, mais également maritime, c'est là que se situe la nouveauté. En s'aidant des restitutions de l'ancien delta du Rhône proposées par les géomorphologues et les historiens (la seule référence clairement environnementale), puis en cartographiant les épaves découvertes devant une ancienne bouche colmatée, il propose la localisation d'une nouvelle zone portuaire que des vestiges au sol permettent déjà de suggérer; ce port aurait été mieux adapté au transport fluvial que ne l'était le port de Fos, au débouché du canal de Marius, lequel était semble-t-il déjà en partie colmaté, avec un courant inapproprié de surcroît, dès l'époque de Strabon.

Pierre Régaldo-Saint-Blancard présente dans une langue élégante le dossier du port antique de Bordeaux. En intégrant les données géomorphologiques, celles issues des textes antiques et médiévaux, des fouilles archéologiques anciennes, réexaminées à l'occasion, et récentes, il reprend les différentes hypothèses déjà proposées sur l'emplacement exact du port fluvial/maritime et suggère une évolution morphologique pour les deux cours d'eau (Devèze et Peugue) se réunissant un moment au centre de la cité et offrant leur lit commun pour le débarquement des navires.

Lyon est un site de confluence dont la morphologie a beaucoup varié, surtout en raison de la dynamique du Rhône qui est l'agent morphologique principal de la plaine. Les traces de cette confluence passée ont été retrouvées dans la fouille préventive du Parc Saint-Georges que Grégoire Ayala et Agnès Vérot-Bourrély présentent ici. L'étude de l'interstratification des formations sédimentaires, des épaves de navires et des structures archéologiques autorisent une généalogie de ces milieux instables et inhospitaliers, et surtout, de la prise de possession progressive des berges fluviales. Celle-ci s'effectue de manière relativement durable à la faveur d'une amélioration climatique, et surtout, grâce à la volonté politique de Rome qui créera (à partir du IIe s. ap. J.-C.) le port fluvial de la confluence à Lugdunum, par ailleurs connu par de nombreuses inscriptions concernant les Nautes.

Frédéric Trément et son équipe ont pour projet de spatialiser les dynamiques environnementales dans un petit bassin versant de l'Auvergne, dans le centre de la France, à proximité de sites protohistoriques importants (Gergovie, Corent, Gondole). En croisant les données des prospections archéologiques et des fouilles préventives, les informations recueillies dans les archives les plus anciennes et celles issues de forages profonds, ils ont pu noter les temporalités différentes qui s'expriment, d'une part dans les cartes archéologiques, lesquelles enregistrent surtout la stabilité, et, d'autre part, dans les colonnes sédimentaires qui soulignent surtout l'instabilité. Ce constat fait, ils proposent une chronologie socio environnementale qui va du Néolithique jusqu'au Moyen Age. Le second âge du Fer apparaît comme une période où la pression sur le milieu est très forte, avec un investissement humain et technologique considérable, qui voit par exemple une tentative d'assèchement du marais local. Cette intensification est encore plus nette à l'époque romaine, avant de décliner durant l'Antiquité tardive, comme on pouvait s'y attendre. De tous les articles présentés ici, celui-ci (le Bassin de Sarliève) et le précédent (le port de Lyon) sont les seuls qui abordent de façon frontale les questions environnementales, avec un objet novateur qui n'existait pas dans les problématiques académiques les plus conventionnelles, en dépassant les simples procédés de restitution, et tout déterminisme dans la question des relations entre l'homme et son milieu.

Table des matières

Françoise Dumasy et François Queyrel : avant propos

Philippe Leveau : Archéologie, espace et environnement, des paysages aux risques naturels, 1

Peter Scherrer : D'Apasa ú Hagios Théologos, histoire et habitat de la région d'Ephèse de la préhistoire á l'époque byzantine, vue sous l'angle des contraintes maritimes et fluviales, 25

Mathieu Ghilardi : Etude des rythmes de progradation de la plaine de Thessalonique (Grèce) au cours de l'Holocène récent, approche méthodologique, 55

Eric Fouache : Ports maritimes et dynamiques géomorphologiques et deltäiques au sud de la péninsule balkanique (Albanie et Grèce occidentale), 65

Frank Vermeulen : Prospections géoarchéologiques dans la vallée de Potenza (Marches, Italie), évolution d'un paysage adriatique dans l'Antiquité, 81

Henri Broise et Vincent Jolivet : Première approche du territoire de Mursana (Etrurie méridionale) á l'époque hellénistique, 95

Stefano Bruni : Entre l'Arno et la mer Tyrhénienne, Pise étrusque et romaine et son système portuaire, 107

Marie-Françoise Boussac : Taposiris Magna, la création d'un port artificiel, 123

Jean-Marie Dentzer : Espace urbain et environnement dans les villes nabatéennes de Pétra, Hégra et Bosra, 143

Luc Long : "Duplex Arelas", fluviale et maritime, 195

Pierre Régaldo-Saint Blancard : Le port antique de Bordeaux, bilan et nouvelles hypothèses, 221

Grégoire Ayala et Agnès Vérot-Bourrély : Lyon Saint-Georges, approche géoarchéologique d'un site fluvial dans l'Antiquité, 247

Frédéric Trément et al : Interactions socio-environnementales en Grande Limagne d'Auvergne du Néolithique au début du Moyen Age, le cas du bassin de Sarlève (Puy-de-Dome, France), 263

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