Wednesday, October 29, 2008

2008.10.36

Michèle Biraud, Dominique Voisin, and Arnaud Zucker (trans. and comm.), Parthénios de Nicée. Passions d'amour. Grenoble: Éditions Jérôme Millon, 2008. Pp. 314. €26.00 (pb). ISBN 978-2-84137-217-1.
Reviewed by Simone Viarre, Université Charles-de Gaulle Lille III (simone.viarre@club-internet.fr)

Nous avions grand besoin de ce livre, surtout, mais pas seulement, dans la sphère de langue française. Et l'équipe niçoise qui a déjà heureusement travaillé sur cet auteur a notamment publié Littérature et érotisme dans les "Passions d'amour" de Parthénios de Nicée, un beau recueil d'articles réunis par A. Zucker.

L'ouvrage, avec en couverture la reproduction partielle d'un tableau de Véronèse, comporte une longue introduction et les trente-six histoires contées par Parthénios, précédées d'une dédicace. Il nous procure le texte, une traduction et un commentaire, ainsi qu'une bibliographie et trois index (personnages, lieux et thèmes).

L'introduction, très équilibrée, occupe 69 pages. Elle est claire et bien organisée. Les éléments de biographie s'appuient d'abord, comme il se doit, sur La Souda. Les auteurs cherchent des dates, citent des poètes et regrettent que subsiste si peu des poèmes qui ont fait la célébrité de Parthénios en son temps. Ils essaient ensuite de définir "un lettré grec chez les philhellènes" et situent précisément ce philhellénisme romain que met en évidence le rôle des lettrés grecs dans la création de bibliothèques et dans l'aide à la rédaction. Sont ensuite commentées les relations littéraires de Parthénios en insistant sur Laevius et sur les Carmina catulliens. Mais l'introduction concerne surtout l'œuvre: "héritage et tradition". Les sous-titres sont excellents avec un élargissement à tout le monde grec; notons aussi les remarques sur la thématique de la violence et des crimes familiaux, sur l'effort de vraisemblance psychologique, sur le conte préféré au mythe, sur l'érotisme comme spectacle. "L'artiste au travail" est défini par "la complexité des structures narratives" et "la subtilité de la composition générale". On remarque que la collection est disparate au premier abord, avec un souci de la uarietas et la recherche d'une dynamique unificatrice. L'essentiel, c'est l'excellente idée de "l'invention du poème en prose" à laquelle je souscris totalement. L'appropriation à Rome des aspects de l'amour en Grèce représente ensuite un sujet utile mais moins passionnant. En ce qui concerne le texte, retenons l'existence d'un seul manuscrit, le Codex Palatinus GR398 d'une qualité exceptionnelle. Et l'équipe avoue honnêtement qu'elle suit l'édition de Jane Lightfoot (1999) en précisant également quelques divergences de ponctuation et de texte. À propos de cette introduction, j'ai tout de même à l'esprit quelques remarques de détail: p. 21 : que sont donc ces "ritournelles érotiques" concernant Gallus et Properce? p. 23 : qu'est-ce qu'un "nivellement générique vers le bas"? Quelle est alors l'échelle antique ou moderne? p. 49 : comment savoir si "Gallus est moins abondant que Properce"? Je ne lis chez Quintilien que sunt qui Propertium malint. Est-ce que sicut durior Gallus suffit à la démonstration? p. 57 : Le commentaire de Catulle 62, 62 n'a rien à voir avec ce que dit le poète; y a-t-il une faute d'impression? p. : 58 J'aime l'hommage à C. Francese que j'apprécie beaucoup.

Le plus important, c'est tout de même le reste du livre: La dédicace à Cornelius Gallus, p. 77 et suivantes mérite beaucoup de réflexion et de commentaire. C'est vrai, comme le disent les auteurs que celle-ci "a une fonction sociale et un rôle poétique" (p. 80). Parthénios, en quelques mots, définit ce qu'il attend de Gallus, c'est-à-dire de le voir transposer en vers épiques ou élégiaques ce que lui-même présente, avec un parti-pris d'humilité feinte, comme des hupomnêmatia, disons des notices. Certaines des "notices" ont des manchettes qui remontent au troisième ou au quatrième siècle et indiquent les sources du récit; d'autres n'en ont pas. Parthénios emprunte aussi bien à des récits historiques qu'à la mythologie, et mélange le tout, ce qui est moins surprenant qu'il ne peut sembler si l'on songe au statut ambigu de l'histoire dans l'Antiquité.

On aimerait connaître le choix qu'a fait Gallus parmi les propositions de Parthénios. Mais il nous reste seulement un ensemble de 36 pièces, éditées et traduites, avec pour chacune un commentaire de deux ou trois pages qui vise à l'expliquer dans sa composition, ses sources ou ses parallèles et à mettre en relief à la fois la uarietas et une sorte de cohérence dans le recueil.

Comme il serait fastidieux et sans doute inutile de considérer chaque notice l'une après l'autre, je vais essayer, quoiqu'elles soient de valeur inégale et surtout que s'y trouvent souvent imbriquées des données très diverses, d'esquisser un classement qui aura au moins le mérite de rapprocher entre eux certains récits de portée et d'origine différentes.

Voyons d'abord un aspect annexe, mais important pour nous qui sommes toujours en quête des textes que nous avons perdus au cours des siècles. À propos de la légende de Byblis (11), Parthénios nous livre douze vers épiques de Nicaïnétos qui raconte l'une des versions de la légende selon laquelle Caunos aurait pris la fuite parce qu'amoureux de sa sœur; et il illustre l'autre version par quatre vers de sa propre composition selon lesquels Byblis, éprise de son frère, se serait pendue de désespoir à cause de sa disparition. La pièce 14 nous raconte la mort d'Antheus par la ruse de Cléoboïa jalouse en citant vingt-cinq vers élégiaques de l' Apollon d'Alexandre d'Étolie. Il s'agit encore de Milet. Pour Peïsidiké (21), fille du roi de Méthymne, ce sont vingt-deux vers d'Apollonios de Rhodes (dans La fondation de Lesbos) qui illustre la mort par lapidation que lui fait infliger Achille après qu'elle lui eut livré la ville de son père. L'histoire de cette héroïne nous plonge dans un autre monde; et Parthénios la raconte différemment. On pense à Médée comme le dit le commentaire, mais aussi à Tarpeia. Enfin, dans la pièce 34 (Corythos), l'auteur cite trois vers de Nicandre que, selon le commentaire, il aurait mal compris.

Y-a-t-il des récits puremement élégiaques? C'est à peine le cas de la légende de Polymélé (2) qui vient de Philétas et selon laquelle le personnage, après des relations avec le bel Ulysse, survit grâce à des épousailles incestueuses. Sont aussi presque totalement élégiaques l'histoire de Leucippos (5) et celle de Palléné (6). La pièce 10 (Leuconé) présente un chasseur qui à force de délaisser son épouse, la laisse dévorer par ses chiennes mais se suicide ensuite. Mais est-ce comique, élégiaque ou finalement tragique?

Certains aspects de l'amour sont surtout bizarres: Les cas d'inceste accomplis ou non sont à classer ici: Byblis (11), Harpalyké (13) à propos de laquelle le commentaire insiste sur la métamorphose (qui est rare dans ce recueil) avec une comparaison concernant Procné et Térée, malgré l'inversion symétrique des crimes. L'histoire de la mère de Périandre (17) comporte aussi une inversion des crimes par rapport à la légende de Myrrha; mais c'est aussi un récit étiologique; pourtant les références historiques sont consistantes. L'inceste coexiste avec la nécrophilie dans l'histoire de Thymoïtès (31). Les amours d'Alkinoé(27) sont aussi maudites comme celles d'Euliméné (35)avec plusieurs transgressions.

La trahison joue un rôle premier dans la légende de Polycrité (9): celle-ci obtient une trahison de la part d'un ennemi amoureux et périt sous l'avalanche des cadeaux de remerciements. Nanis (22) trahit son père Crésus par attirance pour Cyrus qui évidemment ne l'épouse pas après sa victoire; on pense assurément à Tarpeia.

L'étiologie fait aussi partie des préoccupations de Parthenios: elle joue un rôle dans les pièces 32 (Anthippé) et 36 ; elle est importante dans le récit concernant Keltiné (30) puisqu'il s'agit d'expliquer le nom des Celtes et d'évoquer Héraclès lors de son retour d'Espagne.

Beaucoup des choix de Parthénios s'appuient sur l'épopée: celle d'Apollonios de Rhodes pour Cleité (28) par exemple, mais il s'agit surtout de l'épopée homérique. Ulysse participe à l'histoire d'Évippé (3) et tue son propre fils à la demande de Pénélope; mais cela vient d'une pièce de Sophocle. Oenone fait l'objet central de la pièce 4 pour ses amours avec Pâris et surtout pour son refus de le guérir suivi d'un revirement trop tardif et de son suicide; mais elle est à la marge d'Homère et le commentaire étudie très bien les diverses origines du récit. Dans le récit 12, on a affaire selon le commentaire à "un pastiche burlesque d'un épisode homérique" avec la présence dissimulée d'Ulysse chez Circé. Laodiké (16) concerne une tentative de réclamer Hélène. Achille tue le meurtrier d'Apriaté (26) qui n'est autre que l'un de ses cousins. Corythos (34) est tué par son père Alexandre parce qu'il est amoureux d'Hélène. Enfin, dans le récit 36, le dernier, Arganthoné s'anéantit après la mort de Rhésos qu'elle a aimé. Pour la mort de Rhésos voir Iliade, 10, 434 et suivants, ainsi que la tragédie d'Euripide qui porte son nom. La guerre de Troie est toujours liée ici à l'amour et surtout à la mort.

Beaucoup de récits mêlent surtout politique et légende: L'histoire de Lyrcos(1) qui est liée à la légende d'Io, et aussi à celle de Byblis et Caunos n'est autre qu'une variation sur la légende de Thésée; mais sa conclusion lui donne une portée politique. L'épisode d'Hipparinos (7), où il s'agit d'homosexualité, est surtout une affaire d'amants tyrannicides. En 17, les références historiques sont clairement soulignées. L'histoire de Cheilonis (23) est complétée par un récit de Plutarque Vie de Pyrrhos, 26, 15-20). Pour Phaÿllos (25), l'histoire grecque subit l'intervention du légendaire collier d'Ériphyle. Et ce ne sont que des exemples. L'histoire d'Hérippé(8) concerne la Gaule, etc.

J'ai sans doute laissé de côté au passage des récits moins convaincants, au moins pour moi. Mais il en reste deux sur lesquels je m'arrêterai finalement: Daphné (15), à propos de laquelle le commentaire parle judicieusement d'une "hybridation mytho-historique" (p. 172)se signale en plus par une métamorphose de grande portée. Quant à Daphnis(29), même si le récit est peu clair, il est peut-être le plus significatif parce qu'il s'agit d'un poète inspiré.

Ce volume présente un double intérêt: il nous permet d'approfondir un aspect des origines de l'élégie romaine sur laquelle on s'interroge encore beaucoup. Et singulièrement il met en relief l'aspect talentueux d'un Parthénios beaucoup moins discret qu'il ne le veut faire croire. L'équipe de Nice a fait du bel ouvrage.

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