Tuesday, January 7, 2014

2014.01.04

Luc Brisson, Arnaud Macé, Anne-Laure Therme (ed.), Lire les présocratiques. Quadrige manuels. Paris: Presses Universitaires de France, 2012. Pp. vii, 232. ISBN 9782130576648. €15.00 (pb).

Reviewed by André Motte, Université de Liège (Andre.Motte@ulg.ac.be)

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Comme le suggèrent déjà le titre ainsi que la collection, et comme les auteurs le précisent dans leur Avant-propos (p. 1), ce livre est une introduction à la lecture des œuvres très fragmentaires des philosophes présocratiques et s'adresse à des lecteurs débutants. Outre les trois éditeurs scientifiques, sept autres spécialistes ont collaboré à l'ouvrage, qui est divisé en deux parties.

Formée de quatre chapitres, la première partie, de portée méthodologique et historique, entend montrer les conditions très particulières que doit prendre en considération l'étude de ces penseurs anciens et le travail de critique qu'impose l'évaluation des témoignages qui nous les font connaître. Dans un premier chapitre introductif, L. Brisson et G. Journée rappellent le rôle décisif joué par H. Diels et son disciple W. Kranz dans la collecte des fragments et des témoignages biographiques ainsi que doxographiques relatifs à ces penseurs. C'est toujours leur édition Die Fragmente des Vorsokratiker, plusieurs fois revue et augmentée, qui reste la base de nos études, même si elle est à certains égards dépassée. Les auteurs du chapitre soulignent aussi, à juste titre, l'inadéquation de l'étiquette « présocratiques », aussi bien sous le rapport de la chronologie qu'en considération des courants philosophiques. L'attention est attirée sur les ambiguÏtés de la notion de fragment et sur le contexte limité, quand il en est, que fournit l'édition de Diels-Kranz, sur la prudence aussi qu'appelle à son tour l'exploitation des sources doxographiques. Deux autres séries de questions clôturent le chapitre : quelle image du développement de la pensée présocratique la tradition donne-t-elle, quels penseurs Diels a-t-il accueilli dans le corpus de ses présocratiques et dans quel ordre les présente-t-il ? Suit une bibliographie sélective, comme on en trouvera à la fin de tous les autres chapitres.

L'exposé qui suit cette remarquable initiation à une démarche critique, que l'on doit aussi à L. Brisson, explique pourquoi Diels a fait place à une série de poètes au début de son recueil. Le développement donne lieu notamment à une intéressante comparaison entre deux traditions théogoniques, le modèle hésiodique et le modèle orphique, qui tracent le champ poétique dans lequel ont pris racine les premiers systèmes philosophiques de la Grèce. Intitulé « Les présocratiques et la technique », le chapitre suivant, que signe G. Cambiano, montre trois modalités de la présence des techniques (tekhnai) dans les préoccupations de ces penseurs : elles sont pour eux sources d'analogies et de comparaisons, ils leur font une place de choix dans l'histoire de la civilisation, et il y a celles enfin qu'ils ont eux-mêmes pratiquées. Cette approche originale est assez inattendue parce que, d'habitude, et non sans quelque exagération peut-être, on insiste plutôt sur l'apparition, chez les présocratiques, d'un savoir recherché pour lui-même. Mais on peut se demander s'il n'y pas ici, à l'inverse, une surévaluation de l'importance du savoir technique, quand on lit, par exemple, que « c'est en définitive du caractère central du savoir-faire technique dans l'organisation humaine que leur pensée témoigne » (p. 45). Reste un dernier chapitre, dû à G. Nadaff et traitant de l' historia comme genre littéraire dans la pensée grecque archaïque. L'auteur s'interroge d'abord sur l'origine et le sens du mot et passe ensuite en revue les genres de recherche les plus importants associés à ce terme ; parmi eux se trouve l'historia peri phuseôs, la « recherche sur la nature », qui intéresse au premier chef les présocratiques, à côté de l'usage qu'en font aussi les historiens et les médecins.

La seconde partie de l'ouvrage, faite de dix chapitres, est entièrement consacrée à une revue des figures de proue de la pensée présocratique. Sans surprise, sept individualités ont droit à un chapitre entier, de Pythagore (II, L. Brisson) à Démocrite (IX, C.C.W. Taylor) en passant par Xénophane (III, L. Brisson), Héraclite (IV, J.-F. Pradeau), Parménide (V, Denis O'Brien), Anaxagore (VI, A. Macé et A.-L. Therme), et Empédocle (VII, A.-L. Therme). Trois chapitres sont pluriels : le premier réunit les trois représentants de l'École de Milet, Thalès, Anaximandre et Anaximène (J. Laurent et J.-F. Pradeau), le second évoque les sophistes et retient les figures de Protagoras, de Gorgias et d'Antiphon, ce qui surprend car, souvent, c'est Prodicos qu'on choisit pour former un trio (VIII, J.-P Pradeau), le troisième est voué aux pythagoriciens, l'étude portant essentiellement sur la validité des sources qui les font connaître et non sur leurs doctrines (X, L. Brisson).

Ces exposés, qu'il serait trop long de résumer, témoignent d'une compétence éprouvée ; ils font constamment référence aux textes anciens et sont rédigés avec clarté. Ce n'est pas dire que, sur le fond, tous emporteraient une complète adhésion, mais pareille discussion ne peut trouver place ici. Qu'il me soit simplement permis de faire une remarque touchant la préoccupation didactique affichée par les éditeurs scientifiques, mais qui n'apparaît pas toujours à l'avant-plan. Voici deux cas justifiant peut-être cette réserve. L'un concerne Pythagore et les pythagoriciens. Dans le chapitre consacré au penseur de Samos, on a droit à un long et savant exposé sur les traditions relatives à sa vie et à ses activités. La conclusion à laquelle il aboutit est que « le manque d'informations rend impossible toute tentative pour décrire sa pensée » (p. 106 : « La doctrine de Pythagore : une absence »). Et il n'en va pas autrement des penseurs présocratiques qui se situent dans sa lignée et dont il est question entre autres dans le dernier chapitre ; rien n'y est dit non plus dès lors de leurs conceptions. L'auteur se défend de verser dans l'hypercritique. Soit, mais si l'on devait adopter la même rigueur critique dans le traitement des autres présocratiques, on peut se demander si le présent volume ne devrait pas être écourté d'au moins une moitié, car il est bien peu de penseurs préclassiques qui font l'objet de témoignages anciens aussi nombreux que les pythagoriciens, en l'occurrence Xénophane, Héraclite, Ion de Chios, Empédocle peut-être, Démocrite, Platon et, très abondamment, Aristote. L'intransigeante réserve que s'impose l'auteur fait que le lecteur débutant, en parcourant ces deux chapitres érudits, n'apprend rien des conceptions philosophiques qu'a développées cet important courant de pensée. Eût-il été incongru d'en faire état, fût-ce sous la forme de prudentes hypothèses ? Heureusement, la bibliographie fait référence à des études qui méritent crédit, comme ce récent ouvrage de C. Riedweg, Pythagoras. His Life, Teaching, and Influence (Ithaca / London, 2005) (cf. mon compte rendu dans Kernos, 19 [2006], 489-92). On peut regretter que la bibliographie qui clôture le chapitre consacré à Parménide ne manifeste pas la même ouverture ; elle ne connaît guère, en effet, que les études personnelles de l'auteur dont la présente contribution roule tout entière sur une interprétation, fine et originale, de notions centrales du poème parménidien. Un lecteur débutant attend qu'on lui signale, le cas échéant, d'autres interprétations également dignes d'attention, comme le sont, pour me limiter au domaine francophone, celles de N. Cordero et de L. Couloubaritsis, qui ne sont pas restées inaperçues.

Reste que cet ouvrage, par ses mises en garde méthodologiques, ses exposés synthétiques et ses informations bibliographiques, est de nature à intéresser et à guider efficacement les incipientes dans leur découverte des précurseurs de la philosophie, comme il procurera aussi aux progredientes le plaisir d'un nouveau et fécond retour aux sources. Il ne comporte pas de chapitre conclusif, mais bien un « index des témoignages et fragments des présocratiques », fort de 25 noms.

2 comments:

  1. Here is a comment by Luc Brisson :

    Je remercie André Motte pour son compte rendu. J’y retrouve la clarté, la rigueur et l’honnêteté qui le caractérisent. Je tiens simplement à apporter une précision importante concernant Pythagore et les Pythagoriciens. Le manque d’informations rend difficile toute tentative pour décrire leur pensée, si on les considère comme des personnages historiques antérieurs à Platon. En revanche, si on les considère comme les auteurs supposés d’ouvrages dont l’authenticité est douteuse ou dont l’inauthenticité est avérée, il faut reconnaître l’importance de leur influence, qui a partie liée à l’histoire du Platonisme, jusqu’à la Renaissance y compris, mais qui ne relève pas de l’histoire de la tradition présocratique.

    J’ai donc, dans mes présentations, tenté, en ce qui concerne Pythagore et les Pythagoriciens, de faire le départ entre ce qui me semble authentique, douteux et inauthentique, et cela en apportant chaque fois des arguments.

    Luc Brisson

    Le 10.01.2014

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  2. How strange that Professor Motte should think to criticise my contribution for not having a longer bibliography. Does he perhaps not realise that the first item on my admittedly brief list of four is a publication that includes a bibliography copious enough to satisfy the needs of most débutants? Or is it possible that Professor Motte does not yet know of Richard Goulet’s Dictionnaire des philosophes antiques? If he or any of your readers are in that unhappy state, I would urge them to catch up with a standard work, essential reading for all students of ancient philosophy, in several volumes and now nearly complete, already to be found on the open shelves of any serious library. In the entry I refer him to, from volume five, published in 2012, the same year as the book that Professor Motte is reviewing, he will find a ten page article, signed jointly by the editor of the Dictionary and by myself, containing a succinct survey of the ancient evidence (pp. 153-9), preceded by a bibliography (pp. 150-3), conveniently divided between Éditions et traductions (20 items) and Études d’orientation (35 items). The bibliography includes full details of the two publications that, for some reason, Professor Motte thinks should have been singled out for inclusion in the Références bibliographiques of the short essay that he is reviewing.
    In these days of pullulating publications, I see no need to repeat, least of all in an article that, on the editors’ insistence, had to be reduced to less than twenty pages, information that may easily be found elsewhere. Instead of taking up space to complain that the number of items I refer to should have been raised from four to the grand of total of six, it would perhaps have been more interesting if Professor Motte had taken advantage of the generous limits of a Bryn Mawr review to tell readers what he thinks of what I have to say, not what he thinks I should have said about what other people have to say.
    Denis O’Brien
    CNRS, Paris

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