Monday, September 30, 2013

2013.09.62

Giovanni Turelli, Audi Iuppiter: il collegio dei feziali nell'esperienza giuridica romana. Collana del Dipartimento di scienze giuridiche dell'Università degli studi di Brescia. Milano: Giuffrè Editore, 2011. Pp. viii, 274. ISBN 9788814157660. €28.00 (pb).

Reviewed by Ghislaine Stouder, Université de Poitiers (ghislaine.stouder@univ-poitiers.fr)

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L'ouvrage de Giovanni Turelli constitue une contribution supplémentaire à l'étude des fétiaux que l'on pourrait penser redondante, surtout si l'on tient compte du fait que, sur cette question, la documentation – essentiellement littéraire – n'a pas connu de renouvellement majeur.1 Diverses approches, politiques, diplomatiques, juridiques, religieuses, ont été tentées et il faut admettre que l'étude des fétiaux peut difficilement connaître, en l'état actuel de la documentation, de grands progrès. L'ouvrage de Giovanni Turelli mérite, cependant, qu'on y prête attention, ne serait-ce que pour la synthèse utile et actualisée qu'il offre sur les fétiaux. Surtout, il propose, à propos de ce collège de prêtres, une réflexion stimulante pour les juristes, les historiens du droit, mais aussi pour les spécialistes de la diplomatie romaine.

L'auteur s'inscrit en faux contre une idée répandue depuis Mommsen, et fréquemment adoptée de nos jours, selon laquelle, au tournant des IVe et IIIe siècles, les Romains, alors qu'ils affichaient des ambitions concernant les territoires extra-péninsulaires, auraient, dans le même temps, abandonné le recours aux fétiaux ; ces derniers constituaient, en effet, un personnel diplomatique inadapté aux nouvelles contingences pratiques et aux usages des nouvelles populations avec lesquelles ils étaient en contact, notamment grecques. L'effacement des fétiaux aurait induit le développement d'une figure neuve, celle de l'ambassadeur laïque, le legatus, dont le fonctionnement plus souple, permettait de s'adapter aux différents interlocuteurs et de mieux défendre la politique expansionniste de Rome.

Giovanni Turelli remet en cause cette position, en affirmant que les fétiaux n'ont jamais été des agents diplomatiques et que leur activité ne relève pas de ce domaine. Ils étaient au contraire chargés de traiter des aspects juridiques des relations internationales, ou du moins de faire valoir une expertise sur ces questions. Ce sont donc avant tout des juristes. De ce fait, G. Turelli récuse la coupure chronologique du début du IIIe siècle, considérant d'une part que les ambassadeurs laïques ne sont pas encore attestés à cette date, quoique déjà en activité bien avant, avançant d'autre part que les fétiaux ont poursuivi leur action au-delà de cette date, au prix de quelques évolutions cependant.

Pour argumenter son propos, l'auteur procède tout d'abord à un intéressant et nécessaire retour sur les différentes conceptions des fétiaux dans l'historiographie moderne, du XVIIIe siècle à nos jours (chapitre 1). En revenant ensuite aux sources antiques, il étudie les divers formulaires attribués aux fétiaux : celui du foedus, de la déclaration de guerre et de la deditio (chapitre 2). Il aborde , dans le chapitre 3 et dans une perspective diachronique, la déclaration de guerre à travers cinq cas situés entre 466 et 327, puis à travers d'autres cas datant de la période transmarine, plus précisément entre 218 et 172, afin de souligner la continuité des fonctions juridiques assumées par les fétiaux en dépit des évolutions dans la procédure. À travers trois exemples (le traité romano-carthaginois de 201, la déclaration de guerre à Philippe V de Macédoine en 200 et celle qui est adressée à Antiochos III en 191), il confirme la continuité de l'activité jurisprudentielle des fétiaux, placée au cœur de leur activité (chapitre 4). Enfin, le cinquième chapitre restitue la perception des fétiaux à l'époque antique à travers le regard de trois auteurs : Varron, Cicéron et Plutarque. Il quitte ainsi la perspective des historiens, Denys d'Halicarnasse et surtout Tite-Live, abondamment utilisés, pour tenir compte de la tradition antiquaire.

Le lecteur est convaincu au terme d'une démonstration qui ne néglige aucun détail, aucun aspect. L'ouvrage aurait gagné encore en pertinence s'il s'était appuyé sur un relevé exhaustif de l'activité fétiale, plutôt que sur quelques exemples, notamment dans l'approche diachronique adoptée au chapitre 3. C'est un travail qui reste à faire. Giovanni Turelli a préféré insisté longuement (on en vient à souhaiter par moments que la démonstration fût écourtée, notamment au chapitre 2) sur quelques textes pour lesquels, et c'est là une des qualités majeures de l'ouvrage, il procède à des analyses dont l'acuité est remarquable.

On appréciera, par exemple, la manière dont il décortique la déclaration de guerre selon les trois étapes habituellement reconnues : la rerum repetitio, la testatio deorum et l'indictio belli qui comprend également l'hastae emissio, pour distinguer toutefois les deux premiers temps des deux derniers, parce qu'entre-temps, intervient la procédure décisionnelle qui se tient au Sénat, la consultatio patrum. L'acuité des analyses est par ailleurs nécessaire à la démonstration d'un autre aspect primordial du livre, à savoir que l'historien ou le juriste moderne peut se fier aux sources antiques, car elles sont certainement en grande partie, du moins chez Tite-Live, et à propos des formulaires, authentiques.

Parce qu'il valorise l'approche juridique et le témoignage livien dans la perspective susmentionnée, Giovanni Turelli en arrive toutefois à négliger les autres sources ou, ce qui est plus gênant, à modifier l'orientation de son propos pour l'adapter à Tite-Live au détriment de la logique de l'argumentation. Ainsi, en ce qui concerne l'étude des formulaires, 27 pages sont consacrées au foedus, 35 à la déclaration de guerre, contre seulement 5 à la deditio. 2 La justification en est que Tite-Live, ni aucun autre historien d'ailleurs, n'a conservé le formulaire prononcé à cette occasion. Pour pallier ce vide, Giovanni Turelli consacre 5 pages à un autre type de deditio, la reddition d'un État vaincu au vainqueur. Cette pratique n'a pourtant rien à voir avec l'activité fétiale, comme le reconnaît l'auteur lui- même, mais du moins dispose-t-on, à son propos, d'un formulaire livien. On pardonnera facilement ce petit excursus, qui contient par ailleurs une analyse fort intéressante des éléments juridiques liés à ce type de deditio.

On regrettera, en revanche, qu'en se cantonnant au témoignage livien, Giovanni Turelli reste prisonnier, comme tant d'autres avant lui, d'une lecture tripartite, et donc fragmentée, de l'activité fétiale, quand l'auteur revendique, notamment au chapitre 5, une approche globale des fétiaux qui me semble de fait la meilleure. Cette division tripartite (traités, déclaration de guerre et deditio) découle certes d'une lecture de Tite-Live, mais elle n'est pas formellement exprimée par celui-ci, puisqu'il ne recèle en fait aucune présentation générale des fétiaux, à la différence de Denys (2.72). Or, ce dernier énonce six fonctions reconnues aux fétiaux parmi une multitude d'autres charges qu'il tente de résumer. Prendre en compte le témoignage dionysien, et pas seulement pour sa description de la déclaration de guerre, comme le fait Giovanni Turelli, offrirait en outre le moyen de s'extirper du rapport des fétiaux à la paix ou à la guerre, pour considérer leur position dans le fonctionnement général des relations internationales. Si les fétiaux peuvent être pressentis comme des juristes avant tout, c'est qu'ils maîtrisent les formules juridiques qui permettent d'engager entièrement et irrévocablement la cité dans des actions interétatiques, quelles qu'elles soient. Par conséquent, leur parole rend caduque toute voix discordante et consolide la cité comme corps politique.

C'est ici que se placerait le désaccord majeur avec Giovanni Turelli quant à l'objet de sa démonstration. Les arguments qu'il apporte sur la persistance de l'activité fétiale après le IIIe siècle, ainsi que sur l'ancienneté du recours aux légats me paraissent tout à fait probants. Il faut admettre avec l'auteur que fétiaux et légats ont mené de manière concomitante leurs activités. Afin de justifier alors la distinction entre ces deux types d'agents, Giovanni Turelli limite les fétiaux aux aspects juridiques et les légats aux aspects diplomatiques, la diplomatie se comprenant comme un espace dédié à la négociation. Cette définition restrictive de la diplomatie, héritée d'une conception née à l'époque moderne, est problématique pour la période antique:3 certains légats ne disposaient d'aucune marge de négociation, mais étaient simplement mandés par les Romains pour transmettre un message, quel que soit l'apparat rhétorique dont pouvaient être ornés leurs discours. Faut-il les exclure pour autant du domaine diplomatique ? Il vaut mieux reconnaître, me semble-t-il, que la négociation n'est qu'un aspect du diplomatique et qu'un fétial envoyé officiellement par les Romains à un État étranger, accomplit lui aussi, à sa manière empreinte de formules juridiques, un acte diplomatique.

Ce point n'invalide en rien la distinction entre les deux catégories de personnel diplomatique, et Giovanni Turelli a raison d'insister sur la dominante juridique de l'action diplomatique du fétial par rapport à celle du légat. Pour traiter d'une autre différence entre fétiaux et légats, peut-être eût-il fallu alors insister davantage que ne l'a fait l'auteur sur le processus de prise de décision dans lequel les fétiaux pouvaient être impliqués. Les remarques de l'auteur sont, à ce sujet, diffuses dans le livre et auraient gagné à être traitées ensemble. Les liens avec le Sénat sont ainsi davantage affirmés que démontrés, alors que la relation entre le vote de comices et l'action fétiale n'est pas éclaircie. Giovanni Turelli s'intéresse peu à ces questions car il part du présupposé que les fétiaux ne prenaient pas de décision et se trouvaient donc écartés du processus décisionnel. Il reconnaît ainsi un rôle consultatif aux fétiaux, ce qu'il nomme «l'attività giurisprudenziale» des fétiaux, mais nie que ce rôle consultatif participe de la décision finale. Il affaiblit de la sorte sa démonstration regardant le fait que le ius fetiale aurait encore été en vigueur à la fin de la République. Ne tenir compte que de la décision, au lieu d'envisager le processus de décision auquel les fétiaux participaient en tant que juristes, les réduit, effectivement, à n'être que de simples fantômes. Or les fétiaux, pas plus que les légats, ne prennent de décisions diplomatiques : leurs actions sont contenues dans les limites du mandat qui leur est assigné par le Sénat ou le peuple. Le fétial disposait cependant des moyens juridiques pour contraindre en amont les décisions politiques, à la différence du légat qui n'avait de marge de manœuvre qu'en aval de la décision, ce qui revient à dire qu'il ne peut avoir d'impact sur cette dernière.

Ces quelques éléments de discussion n'enlèvent rien à la qualité d'ensemble de l'ouvrage, comme cela a été dit plus haut. Malgré le détail des analyses, on suit facilement la pensée de l'auteur qui construit solidement et progressivement son raisonnement. Le texte donne parfois le sentiment d'une relecture approximative en raison du nombre de coquilles repérées, mais celles-ci sont concentrées sur certaines pages et ne nuisent pas à la lecture d'ensemble. Encore une fois, l'ampleur de l'enquête, la finesse des analyses, la contestation systématique de l'hypothèse d'une succession chronologique fétiaux/légats, constituent autant de progrès notables sur un terrain qui n'en compte pas souvent. La frustration sur quelques aspects qu'éprouve le spécialiste de la diplomatie romaine est largement compensée par les heureuses réflexions que suscite l'ouvrage.



Notes:


1.   Parmi les publications les plus récentes, on peut citer l'article de Federico Santangelo, « The Fetials and their Ius », BICS 2008 51 : 63-93, d'ailleurs peu cité et utilisé par Giovanni Turelli.
2.   Certes, l'auteur renvoie à l'étude de Giovanni Pugliese sur cette dernière pratique (« Appunti sulla deditio dell'accusato di illeciti internazionali », Studi in onore di Pietro Agostino d'Avack, Milano : Giuffrè, 1976. IV : 451-498), mais le moins que l'on puisse dire est que le foedus et la déclaration de guerre ont été eux aussi l'objet de nombreuses études auxquelles l'auteur aurait pu se contenter de renvoyer.
3.   Cette vision de la diplomatie romaine s'appuie notamment sur un article de Guido Clemente, (« 'Esperti', ambasciatori e la politica estera di Roma nel III e II secolo », Athenaeum 1976 LIV : 319-352) qui a fait date, mais dont le propos se focalisait sur le cas de quelques légats.

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