Saturday, April 18, 2009

2009.04.58

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Beate Dignas, Kai Trampedach (ed.), Practitioners of the Divine: Greek Priests and Religious Officials from Homer to Heliodorus. Hellenic Studies; 30. Washington, DC/Cambridge, Mass.: Center for Hellenic Studies, 2008. Pp. xii, 285. ISBN 9780674027879. $19.95 (pb).
Reviewed by Paraskevi Martzavou, Corpus Christi Classics Center, Oxford

Ce livre de petit format a ses origines dans un colloque international intitulé "Greek priests from Homer to Julian" qui a eu lieu entre le 25 et le 28 août 2003 au Center for Hellenic Studies, à Washington DC. Il s'agit d'un ensemble de douze contributions autour du thème général des "prêtres grecs" (les auteurs et les titres sont présentés à la fin de ce compte rendu). Une liste bibliographique des oeuvres citées et un index complètent le volume. Les contributions sont réparties en cinq sections thématiques (I: Prêtres et rituel, II: Variations sur des prêtrises, III: Représentation visuelle, IV: Concepts et leur transformation, V: Manteis--vraiment des prêtres?). Cependant, cette catégorisation est un peu fictive puisque, vu l'origine de cet ensemble d'études, divers aspects des essais qui constituent la matière de ce volume se trouvent constamment en dialogue.

Ce volume poursuit, en s'y intégrant bien, un récent courant de réflexion dans la recherche sur la religion ancienne, datant déjà d'une vingtaine d'années (voir par exemple la version en français J. Scheid, "Le prêtre", dans L'homme romain, (éd. A. Giardina), 1989, pp. 73-109 d'une étude originalement en italien dans L'uomo romano(A. Giardina éd.) 1989--version anglaise dans The Romans (éd. A. Giardina), 1993, 55-84; voir aussi D. Porte, Les donneurs du sacré: le prêtre à Rome, 1989, et voir surtout M. Beard, J. North, Pagan priests; religion and power in the ancient world, 1990). Dans le cadre de cette tendance, le caractère supposé uniforme des fonctions cultuelles et rituelles des "prêtres" dans le monde ancien se trouve systématiquement remis en question; cela nous oblige à modifier sensiblement notre conception des fonctionnaires religieux dans l'antiquité, de varier les réponses à la question fondamentale de savoir ce qu'est "un prêtre" et de nuancer de manière considérable les questions concernant les tenants institutionnels du pouvoir religieux dans les sociétés anciennes. L'originalité du volume de B. Dignas et K. Trampedach, par rapport à la recherche déjà citée, est qu'il se concentre sur le milieu grec (au moins en ce qui concerne la langue de la documentation écrite): les diverses contributions tentent d'isoler divers aspects de la thématique autour des prêtres dans ce milieu et ainsi de donner une forme plus concrète à notre conception du "prêtre grec".

En guise d'introduction, la contribution d'A. Henrichs expose méthodiquement un secret qui n'en est plus un: notre compréhension de la figure du prêtre dans l'Antiquité est autant tributaire de la disponibilité et de la nature des sources que de l'idée du "prêtre" que se font chaque fois les chercheurs. Avant d'essayer de répondre à la question principale qui ouvre la discussion ("qu'est-ce qu'un prêtre grec?"), il faudrait évaluer nos sources et garder à l'esprit que le reflet du prêtre qu'on perçoit dans les sources risque autant d'est autant une construction littéraire qu'une projection de notre propre conception de ce qu'est un prêtre dans les divers milieux et les divers contextes. D'où les difficultés méthodologiques et conceptuelles auxquelles nous sommes confrontés; d'où aussi le grand intérêt de la recherche sur les fonctionaires cultuels. Les divergences qui apparaissent dans l'image des magistrats religieux, à travers des études sur le vocabulaire, le rituel, les témoignages épigraphiques et les témoignages visuels, ne font qu'accentuer le bésoin d'évaluer nos sources, d'opérer les clivages nécessaires dans la documentation pour une perception plus claire des aspects des fonctions religieuses dans des contextes précis. En essayant d'éviter l'usage du terme "prêtre" (un "faux ami" finalement...), la recherche menée dans ce volume se concentre sur l'illustration, à travers des études des cas contextualisés, de la fonction des fonctionnaires religieux en tant qu'intermediaires entre la sphère divine et la sphère humaine.

Les différents degrés de participation dans le rituel sont examinés dans les contributions de Henrichs et de Chaniotis, le premier mettant l'accent sur le vocabulaire varié qui est utilisé pour désigner les fonctionnaires religieux et sur leur rapport surtout avec le rituel du sacrifice, le deuxième soulignant l'importance de l'expertise religieuse comme facteur qui permettrait d'opérer des distinctions. Henrichs souligne que, pour une meilleure comprehénsion des fonctionaires religieux dans leur contexte, il faut chaque fois respecter le caractère varié du vocabulaire grec. Chaniotis fait aussi allusion au rapport entre experts religieux et gravure de règlements religieux; ce rapport est important dans la mesure où la gravure des règlements et la gestion de l'épigraphie sont une affaire liée aux autorités officielles de la cité. Cela constitue un aspect important du rapport des experts religieux au pouvoir.

J. Bremmer en examinant, à travers le temps, le personnel cultuel de l'Artemision d'Ephèse, tente de dégager les caractéristiques plus générales de "la" prêtrise grecque: flexibilité, manipulation fréquente de la part du pouvoir, non spécialisation du point de vue de l'accomplissement de l'acte sacrificiel, ce dernier requérant peu de formation. S. Guettel Cole, à travers l'étude du personnel cultuel dans le culte de Déméter, traite le thème de la prêtrise désignée dans les sources épigraphiques par l'expression "selon les coutumes ancestrales". Les prêtresses de Déméter (car il s'agit d'un milieu surtout féminin) sont surtout considérées en tant que magistrats civiques. "La" cité offre le cadre pour la survie des lignées de prêtres qui, à leur tour, jouent un rôle actif dans la constitution des archives, essentielles pour l'image de continuité de la cité. Comme l'étude de Chaniotis, celle de Cole fait allusion au rôle des prêtres comme agents actifs dans l'enregistrement sur pierre des "épiphanies" divines. Pour les prêtresses, on dispose maintenant du livre de J. Breton Connelly, "The portait of a priestess; women and ritual in ancient Greece" (Princeton 2007), avec une emphase sur les documents visuels.

B. Dignas, se basant surtout sur la documentation épigraphique, se demande jusqu'à quel point les prêtres de Sarapis en pays grec peuvent être considérés comme des "prêtres grecs". En échappant justement au clivage banal entre public et privé qu'elle trouve inadéquat, elle examine principalement le contexte délien, à cause de la richesse du matériel. Une remarque intéressante est celle qui souligne que le rituel exigeant des cultes égyptiens aurait impliqué un nombre considérable de personnes dans des fonctions de type sacerdotal. À ce propos, l'examen parallèle d'un autre type de documentation aurait peut-être permis d'approfondir, au sein de cette étude, les questions posées au matériel épigraphique: il s'agit de la série des reliefs funéraires attiques représentant des femmes arborant l'habit d'Isis (voir E. Walters on Attic grave reliefs that represent women in the dress of Isis). On a affaire soit à des initiées soit à des "prêtresses", mais il serait intéressant d'examiner comment cette documentation illustre la question de savoir ce qu'est un prêtre ou une prêtresse grecque. L'étude de Dignas, pleine de remarques pertinentes, aurait sans doute bénéficié aussi des observations subtiles et de la terminologie pour la recherche sur les "cultes égyptiens" hors d'Égypte proposée par M. Malaise (2005), "Pour une terminologie et une analyse de cultes isiaques" -- terminologie qui a déjà fait ses preuves.

Ensuite, U. Götter examine la question de l'autorité du souverain en tant que prêtre et de la nature de l'autorité des prêtres. Le contexte choisi est celui de l'Asie Mineure où ont cours nombre de stéréotypes sur les monarchies "orientales". À travers des études de cas qui mettent en valeur la spécificité des circonstances historiques et les particularités locales, Götter attaque et déconstruit ces idées stereotypées qui prônent que dans le territoire de l'Asie Mineure le pouvoir séculaire et le pouvoir religieux étaient généralement identiques. C'est seulement dans certains cas limités que l'autorité religieuse et le pouvoir seculaire étaient inextricablement liés, mais ce cas constituait plutôt l'exception que la règle. Dans l'étude de R. von den Hoff, l'emphase est mise sur la documentation iconographique; les représentations des prêtres (sous forme de statues, reliefs ou images peintes) sont examinées dans la perspective de la mise en forme visuelle du prestige social. La situation n'est aucunement statique. En choisissant comme contexte la cité d'Athènes entre l'époque archaïque et la fin de la période hellénistique, von den Hoff discerne des mutations liée à l'évolution historique plus générale, à la montée, à la transformation des élites et aussi à la concurrence entre les membres des diverses élites. L'espace participe de ce jeu de transformation. L'Acropole émerge comme un lieu particulièrement important de l'interaction entre autorités civiques, familles de notables et familles en dehors du cercle des élites, à travers la dédicace de statues de prêtres ou de magistrats religieux de moindre importance.

L'étude de M. Haake touche également le domaine des figurations en se concentrant sur l'image du prêtre qui se présente simultanément comme philosophe. Haake voit un paradoxe fondamental dans cette association et dans son étude essaie de le déconstuire. Il utilise les inscriptions pour accéder au vécu des communautés et examiner l'espace commun entre conceptions et pratiques privées et conceptions et pratiques publiques. Il conclut que, dans la réalité, il n'y avait pas de conflit entre ces deux identités puisque toutes les deux étaient liées aux aspirations des élites patriotiques des cités grecques où la combinaison des identités multiples était une habitude. Le paradoxe n'était qu'apparent (et peut-être construit par Haake lui-même: l'étude de J. Ma, "Paradigms and Paradoxes", Studi Ellenistici 20 est confrontée au même problème).

L'étude de M. Baumbach s'attache aussi aux représentations: il prend comme problème central la représentation des prêtres dans le roman grec et notamment dans les Éthiopiques d'Héliodore. Baumbach démontre que l'image du prêtre égyptien Calasiris met en question la notion "traditionelle" du prêtre grec. Selon l'inteprétation de Baumbach, le roman des Éthiopiques participe à la concurrence générale, perceptible dans la littérature de cette période, dont le but est de diffuser le modèle le plus convaincant, celui de l'homme divin (theios aner) qui néglige les différences entre les cultures et les cultes pour proposer un modèle universel de prêtre-philosophe. Les Éthiopiques montrent ainsi leur caractère de "roman engagé" du point de vue religieux et culturel. L'article de Baumbach est naturellement en dialogue avec celui de Haake.

Flower examine la fonction et la représentation de la figure du devin dans le monde antique. L'étude de cas de la famille des Iamidai offre un contexte intéressant. Cependant, plutôt que d'essayer de rétablir l'histoire d'une famille de devins, Flower s'efforce de rétablir l'auto-représentation à la fois des Iamides en tant que famille et des membres individuels de cette famille. Il démontre que les manipulations et les stratégies de la part des individus forment un sujet beaucoup plus intéressant que le rétablissement de l'histoire d'une famille de devins. Enfin, K. Trampedach s'occupe de la figure du devin et de son rapport avec le pouvoir politique. À la question de savoir si le personnage du devin avait une véritable autorité politique, Trampendach répond par la négative, en basant sa réponse sur les poèmes homériques. Il conclut que les devins grecs n'étaient pas caractérisés par l'exclusion et l'ascétisme; ils étaient plutôt proches de la catégorie des prêtres officiels (civiques).

L'epilogue par Dignas et Trampedach dégage deux questions importantes: la première est celle des différenciations entre les divers tenants institutionnels du pouvoir religieux; la deuxième est celle de la spécificité grecque. Deux conclusions concernent, d'une part, le caractère déterminant de la nature des sources pour la construction du profil des prêtres grecs et, d'autre part, le besoin absolu d'une approche interdisciplinaire.

Cependant, vu l'ampleur chronologique, géographique et conceptuelle de ce volume, il existe une question sous-jacente à la majorité des contributions mais qui n'est, de manière curieuse, véritablement affrontée ni dans l'introduction ni dans la conclusion -- à savoir: comment la recherche sur les tenants institutionnels du pouvoir religieux en milieu hellénophone s'inscrit-elle dans la recherche sur l'évolution historique du concept d'hellénisme? Il est évident que les divergences entre les conceptions du "prêtre" à travers les sources, à travers les régions, à travers les époques ne sont pas tributaires simplement de la nature des sources et de la géographie mais aussi de mutations au sein du concept de ce qui est "grec". En effet, il me semble que le caractère "grec" dans ce volume est pris parfois un peu trop comme allant de soi alors que, justement, dans le processus de la construction de ce caractère, il y a potentiellement un certain nombre de questions fascinantes à poser. À ce propos, les points soulignés dans diverses contributions au volume de D. Konstan et S.Said (éd.), (2006), "Greeks on Greekness; viewing the Greek past under the Roman empire", sont précieux. Le terme "grec" recouvre des réalités complexes et très variées, et la recherche sur les prêtres grecs est donc aussi (et doit être), une recherche sur l'identité et l'altérité. En tout cas, le fait d'avoir privilegié dans le volume de Dignas et Trampedach la thématique des "prêtres" confère à ce sujet un nouveau dynamisme, d'où son caractère vraiment fascinant. Ce volume, à travers des études, méthodiquement subtiles et conceptuellement riches, réussit à rendre clair qu'il n'existe pas de réponse simple à la question de savoir ce qu'est un prêtre grec.

Table des matières:

Preface

Abbreviations

Introduction: What is a Greek Priest? Albert Henrichs

Part I: Priests and Ritual
Priests as Ritual Experts in the Greek World, Angelos Chaniotis

Part II: Variations of Priesthood
Priestly Personnel of the Ephesian Artemisium: Anatolian, Persian, Greek, and Roman Aspects, Jan Bremmer
Professionals, Volunteers, and Amateurs in the Cult of Demeter: Serving the Gods kata ta patria, Susan Guettel Cole
"Greek" Priests of Sarapis? Beate Dignas
Priests - Dynasts - Kings: Temples and Secular Rule in Asia Minor, Ulrich Götter

Part III: Visual Representation
Images of Cult Personnel in Athens between the Sixth and First Centuries BC, Ralf von den Hoff

Part IV: Ideal Concepts and their Transformation
Philosopher and Priest: The Image of the Intellectual and the Social Practice of the Elites in the Eastern Roman Empire, Matthias Haake
An Egyptian Priest in Delphi: Kalasiris as theios aner in Heliodorus' Aethiopica, Manuel Baumbach

Part V: Manteis: Priests at All?
The Iamidae: A Mantic Family and Its Public Image, Michael Flower
Authority Disputed: The Seer in Homeric Epic, Kai Trampedach

Epilogue, Beate Dignas and Kai Trampedach

Bibliography

Index

Une notule: la référence bibliographique de la page 14: Gordon 2001, 320 n'est pas incluse dans la liste bibliographique des oeuvres citées, l'ensemble du volume sinon est trés soigné.

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