Sunday, December 21, 2014

2014.12.22

Alberto Camerotto, Gli occhi e la lingua della satira: studi sull'eroe satirico in Luciano di Samosata. Classici contro, 2. Milano; Udine: Mimesis Edizioni, 2014. Pp. 357. ISBN 9788857520407. €26.00 (pb).

Reviewed by Orestis Karavas, University of the Peloponnese (okaravas@hotmail.com)

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Le nouveau livre d'Alberto Camerotto traite un sujet qui a commencé à l'intéresser dans son dernier livre sur Lucien : le héros satirique lucianesque.1 Bien qu'il soit inévitable de penser au livre classique de Jennifer A. Hall, Lucian's satire, New York, 1981, la focalisation, la problématique et la thématique de Camerotto sont très différentes.

L'étude est divisée en six chapitres : dans le Chapitre I (pp. 15-107), le plus long de tous, Camerotto présente ses thèses principales. En parcourant l'ensemble du corpus lucianesque, l'auteur isole et souligne des situations qui contiennent ce qu'il appelle "la voix de la satire" et "le héros satirique". On doit attendre un peu pour en avoir des définitions, mais on voit régulièrement mentionnés des termes comme tolme, thrasos, elenchos, oxyderkia, autopsia, episkopein, parrhesia, aletheia, eleutheria. Il n'est pas difficile de deviner qu'il s'agit des armes du héros satirique de Lucien. Ce héros est l'observateur de la réalité et celui qui aide le lecteur à repérer à son tour l'hypocrisie morale et logique qui l'entoure. Car la satire a besoin de la participation du lecteur afin de fonctionner. Chez Lucien on rencontre plusieurs personnages qui disposent de la vertu et de l'action du héros satirique : ce ne sont pas seulement Ménippe et Nigrinos ou des personnages fictifs comme Lycinos, Cyniscos et Parrhèsiadès, mais aussi le coq, le narrateur du Sur les sacrifices, et Charon lui-même.

Selon Camerotto, les précurseurs du héros satirique lucianesque ne sont pas vraiment les iambographes, les cyniques ou les poètes comiques, mais plutôt Socrate. La figure du philosophe grec est omniprésente tout au long du livre, jusqu'à sa dernière page. Socrate, en effet, combinait tout : la perspicacité, la maîtrise, le franc-parler, la liberté, la vérité, c'est-à-dire les traits les plus caractéristiques du héros satirique. Camerotto met aussi en évidence la grande différence entre le héros comique et le héros satirique : la mission du premier est de changer le monde. En revanche, les objectifs du dernier sont plus limités : il se contente de démasquer les tromperies et de dissiper les illusions. "In principio l'eroe satirico lucianeo è una figura di tutti i giorni. [...] E poi, quando parla, ricorda le strategie di Socrate tra l'eironeia e l'elenchos, altrettanto insopportabili di quelli del filosofo" (pp. 105-106).

Les cinq chapitres qui suivent traitent des qualités du héros satirique. Le Chapitre II (pp. 109-169) examine la vertu de l'être : le héros satirique apparaît comme un étranger, comme quelqu'un qui appartient à un autre monde. C'est pourquoi son observation de la réalité est objective et n'obéit pas aux conventions sociales. Le héros satirique ose dire que quelque chose n'est pas juste alors que la société l'accepte comme juste. Etant étranger il ne veut pas se soumettre aux mensonges dont le monde ne parle pas. Le héros satirique n'a pas ce type de réserve et son jugement est sans concession. Le Chapitre III (pp. 171-190) est consacré à la vertu du faire : afin de fortifier son observation, le héros satirique entreprend un voyage impossible et paradoxal, qui naît du désir et de la recherche de la vérité. Le Chapitre IV (pp. 191-223) analyse la vertu et la puissance du voir: si le héros satirique effectue ce voyage extraordinaire, il le fait exclusivement pour voir. Les yeux du héros satirique constituent ainsi la première moitié du titre du livre. Le Chapitre V (pp. 225-283) a pour objet la liberté et le devoir de dire : la parrhesia du héros satirique passe à travers l'esprit et l'auto-ironie. Elle agit publiquement et à haute voix, c'est pourquoi elle est irrésistible. L'analyse de Camerotto arrive à son acmè aux pp. 247-248, où il cite les menaces des philosophes ressuscités contre Parrhèsiadès : il s'agit de lui crever les yeux et de lui couper la langue! La satire n'a pas de caractère pédagogique ou moral. Néanmoins la parole satirique a un effet bienfaisant, car elle cherche la vérité et corrige les vices. Le dernier chapitre (pp. 285-323) est une présentation exceptionnelle du rire et de ses conséquences : le rire chez Lucien est l'instrument principal de l'attaque. Il est irréfutable et destructeur, il l'emporte sur le pouvoir des mots. Le rire est au fondement des entreprises des héros satiriques et les accompagne dans toutes leurs actions. On peut dire que tout vient du rire et que tout y aboutit.

Le livre se termine par la Bibliographie (pp. 325-339) et deux Index (général, pp. 341-349 et Index locorum, pp. 351-357).

Camerotto ne dévie pas de sa ligne interprétative. Il avance par étapes : chaque chapitre ajoute aux thèses du chapitre précédent. Il emploie la bibliographie et les nombreux textes cités (on a compté 925 notes en bas de page) non seulement de Lucien, mais d'autres auteurs grecs et latins, exclusivement pour renforcer son raisonnement, en laissant de côté l'opportunité de parler d'autres choses, comme la paratragédie, par exemple. Sa perspective est claire et, une fois que le lecteur a chaussé les lunettes de la satire qu'il lui offre, il commence à voir les écrits lucianesques à travers les yeux du héros satirique. Camerotto atteint son but. Il construit si soigneusement le développement de son argumentation qu'il conduit le lecteur à concevoir l'aboutissement de son syllogisme quelques lignes avant de le rédiger.

La présentation typographique du livre est très soignée. On n'a compté qu'une quinzaine de coquilles (un esprit manqué ou des accents grecs mal placés, mais qui n'altèrent pas la lecture), dont les plus gênantes sont les fautes de coupure des mots étrangers à la fin de la ligne: ἀβέβα-ια p. 119; lo-oked p. 191; spe-aker p. 226, n. 3; table-aux p. 301. Enfin, on préférerait l'abréviation Adv. ind. au lieu d'Ind. pour le Contre un bibliomane ignorant.

Sans aucun doute, ce nouvel ouvrage de Camerotto s'inscrira bientôt parmi les contributions les plus remarquables dans le domaine des études sur Lucien de Samosate. On attend avec impatience son prochain commentaire sur La nécyomancie, qu'il annonce dans la n. 2 de la p. 172.2



Notes:


1.   Voir Alberto Camerotto, Luciano di Samosata, Icaromenippo o l'uomo sopra le nuvole (Hellenica, 29), Alessandria, 2009, pp. 24-42 (section "L'eroe satirico"), reviewed by John Henderson BMCR 2010.01.23. L'auteur avait déjà publié des articles qui anticipaient les traits principaux de son argumentation: Alberto Camerotto, "Gli occhi e la lingua dello straniero. Satira e straniamento in Luciano di Samosata", Prometheus, 38, 2012, pp. 217-38, Alberto Camerotto, "Le virtù e le imprese di Menippo e dei suoi colleghi nella satira di Luciano", Nuntius Antiquus, 8.2-9.1, 2012-2013, pp. 7-46 (aussi en ligne) et Alberto Camerotto, "Il riso dell'eroe satirico in Luciano di Samosata", in Peter Mauritsch-Christoph Ulf (éds.), Kultur(en) - Formen des Alltäglichen in der Antike. Festschrift für Ingomar Weiler zum 75. Geburtstag (Nummi et Litterae, 7), vol. 1, Graz, 2013, pp. 121-32.
2.   J'aimerais remercier ma chère collègue et précieuse amie Isabelle Gassino pour son aide et ses remarques utiles.

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