Wednesday, December 21, 2011

2011.12.56

Giusto Picone, Lucia Beltrami, Licinia Ricottilli (ed.), Benefattori e beneficati: la relazione asimmetrica nel de beneficiis di Seneca. Letteratura classica, 35. Palermo: G. B. Palumbo Editore, 2009. Pp. 429. ISBN 9788860170729. €32.00 (pb).

Reviewed by Martin Degand, Aspirant F.R.S. - FNRS, Université Catholique de Louvain (martin.degand@uclouvain.be)

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[Les auteurs et les titres sont énumérés à la fin du compte-rendu.]

Cet ouvrage collectif rassemble pas moins de seize contributions. Elles résultent de recherches menées au sein de trois universités (Palerme, Sienne et Vérone), financées par deux projets nationaux consécutifs (2004-2006 et 2007- 2009) et consacrées à l'étude du De beneficiis de Sénèque. Une première version de ces textes avait déjà été exposée lors d'un séminaire à Marsala en 2006. L'ensemble des travaux menés dans le cadre de ce séminaire se subdivise en deux sessions. D'une part, il s'agissait de réaliser un commentaire du premier livre du De beneficiis dont les résultats paraîtront dans la même collection que le présent ouvrage. D'autre part, des recherches individuelles sur des thématiques plus spécifiques du traité ont été abordées et celles-ci constituent la matière des articles contenus dans ce livre. L'objectif annoncé par les éditeurs est double. D'une côté, y a la volonté de développer des outils d'analyse des dynamiques du traité pour permettre une meilleure compréhension du domaine complexe du beneficium. De l'autre, il s'agit de conjuguer une approche philologique traditionnelle à d'autres perspectives plus originales. Le programme décrit dans la préface est séduisant, cependant il est à regretter que celle-ci ne présente pas de façon succincte les articles en établissant des liens entre eux.

Le premier article, signé par D. Averna, porte sur la notion de fortuna dans le traité de Sénèque. Plus particulièrement, elle examine le réseau d'oppositions sémantiques dans lequel s'inscrit ce terme marqué par une polysémie importante dans la prose de Sénèque. Ainsi, celui-ci est envisagé à la lumière des relations qu'il entretient notamment avec des notions telles que uirtus, beneficium ou encore sapientia, uoluntas en passant par memoria et superbia. L'analyse s'accompagne de nombreuses observations stylistiques.

E. Calabrese s'intéresse ensuite à une approche pragmatico-relationnelle des rapports père-fils dans la Phèdre de Sénèque. Elle met ainsi en évidence l'absence de communication et de rencontre entre Hippolyte et Thésée au retour des enfers de ce dernier. La thématique oblative est y envisagée sous l'angle de la réciprocité négative à l'œuvre dans les relations étudiées. À travers l'établissement d'un lien entre un emploi pervers du don et l'absence de communication, E. Calabrese relève la volonté de Sénèque d'envoyer à son public un message positif inverse quant à une saine relation père-fils.

Une présentation de l'Essai sur le don de Marcel Mauss (L'Année Sociologique 1923-1924). constitue l'objet de l'article de M. Carosso. À travers un exposé de plusieurs clés de lecture, ce texte richement documenté propose la synthèse des travaux réalisés ces dernières décennies sur la base de l'ouvrage de M. Mauss. Une large place est réservée à l'analyse de M. Godelier mais également à d'autres chercheurs essentiellement français. Sont ainsi abordées des thématiques aussi classiques en anthropologie que le kula, le potlatch ou encore la situation oblative au Japon.

E. Dalle Vedove aborde la question de la présence et du rôle du dédicataire, Aebutius Liberalis, dans le De beneficiis. L'analyse de l'interaction entre Sénèque et ce dernier se fonde notamment sur les théories de la pragmatique de la communication. La seconde partie de l'article propose une comparaison avec les préfaces à l'œuvre de Sénèque l'Ancien, dédiée à ses trois fils. Des similitudes apparaissent au niveau de la manière dont un échange s'établit entre l'auteur et ses dédicataires.

Percevant le don comme un acte de communication, A. De Caro analyse celui-ci grâce à des grilles de lecture issues de ce domaine. Il mobilise ainsi des travaux aussi divers que ceux de J. Godbout (dimension sociale et relationnelle du don), E. Goffman (construction de l'identité dans les interactions), de R. Sennett (thématique du respect) et de P. Ricœur et A. Honneth (reconnaissance réciproque et partage de valeurs et de symboles). Fondé sur les deux premiers livres du traité, cet article propose une vision du don entre inégaux comme reconnaissance (acte de reconnaître).

Le rôle joué par le temps dans les livres I-II de l'œuvre fait l'objet de l'article d'E. Ducci. L'incidence du facteur temporel est d'abord mise en exergue dans la relation donateur/donataire et ensuite à la faveur de la distinction beneficium/feneratio. L'auteur démontre par après l'inversion du rapport cause/effet dans le traité (approche finaliste et non instrumentaliste du don). Le thème de la répétition du don (en lien avec la memoria) est également abordé. Enfin, une nouvelle perspective temporelle (modification dans la perception du passé par rapport au temps présent) est mise en évidence dans le texte de Sénèque.

La contribution suivante réunit en réalité deux textes. D'une part, G.M. Facchini s'intéresse aux objets donnés à travers une approche d'artefacts de l'art somptuaire à l'époque impériale. Son propos est illustré par trois images en fin d'article. D'autre part, C. Moratello décrit un récipient en forme de petite colombe qui semble avoir constitué la matière d'un don (cet article aurait peut-être davantage que le premier mérité une illustration). Les articles sont très succincts bien que les liens entre l'archéologie et le De beneficiis requièrent sans doute une analyse plus approfondie (étude du motif des trois Grâces, par exemple).

M. Lentano, pour sa part, examine un exemplum du traité de Sénèque. Celui-ci a trait à la relation entre César et son fils adoptif et pose la question : Brutus aurait-il dû accepter la vie sauve octroyée par César ? (II, 20). De là, M. Lentano reconstruit la pensée politique de Sénèque et aborde également des thématiques propres au traité telles que le beneficium et la gratia. De façon plus générale, les rapports entre Brutus et César y sont évoqués sous l'angle de la question des beneficia et des notions de parenté dans la société romaine.

P. Li Causi porte son attention sur le recours de Sénèque à la sermocinatio (mise en dialogue à travers le recours à un interlocuteur imaginaire) et analyse son rôle dans le De beneficiis. Tantôt celle-ci lui offre un repoussoir contre lequel il prend appui afin de développer son idée. Tantôt, la position de l'adversarius fictus est exposée, sans être rejetée, pour compléter un panorama de points de vue simultanément acceptés (perspectives dites « binoculaires »). Cette seconde fonction permet à Sénèque de proposer une voie alternative au stoïcisme traditionnel, fondée sur l'intentionnalité, plus en phase avec les réalités quotidiennes.

La notion de beneficium et l'éthique oblative de Sénèque sont ensuite envisagées par M. Lo Piccolo à la lumière de la Consolation à Polybe (notamment quant au rôle joué par la mémoire). Elle éclaire également le concept de beneficium grâce à celui de clementia qui constitue une forme de ce dernier. Cette réflexion se fonde notamment sur une analyse du Plaidoyer pour Marcellus de Cicéron.

Dans la droite ligne de l'article d'A. De Caro, R. R. Marchese mobilise à son tour des réflexions de R. Senett en vue d'analyser la relation inégale entre bienfaiteur et bénéficiaire. L'attention est portée avant tout sur les origines de l'ingratitude et sur les erreurs qui conduisent à une pratique dysfonctionnelle du beneficium. La problématique est abordée à la faveur de thématiques telles que celles de l'autorité, des processus de rébellion, de la dépendance et des rapports de force et de pouvoir. À travers le concept d'autonomie, envisagée de façon réciproque mais différenciée, R.R. Marchese note comment Sénèque désire promouvoir des rapports fondés sur le respect de l'autre et de sa dignité personnelle.

L'article de R. Marino se penche sur la question du refus dans le traité de Sénèque et, plus particulièrement, sur les signes, relevant tant du verbal que du non verbal, qui le manifestent. Le refus est envisagé dans son rapport avec la volonté, dont rend compte la manière de donner. À travers le motif du refus, s'insinuent également les problématiques de l'exclusion, de la dignité et de l'identité dans la relation à l'autre. Le propos est parfois diffus et les nombreuses et diverses références gagneraient à être davantage explicitées et exploitées.

Reprenant une question abordée dans un de ses précédents articles (difficilement accessible),1 G. Picone analyse un exemplum du De beneficiis qui met en scène Alexandre le Grand (I, 13). À travers la comparaison qui y est établie entre Hercule et ce dernier, il relève comment Sénèque fait part de son point de vue sur le gouvernement et la politique. Derrière l'exemple, un message est clairement adressé à l'empereur sous la forme d'une assimilation : Alexandre (tyrannus) et Hercule (optimus princeps). Une explication est également fournie quant à la référence au serpent figurant dans l'extrait.

Recourant également à la pragmatique de la communication, R. Raccanelli étudie les dynamiques paradoxales initiées par Sénèque afin de modifier les perspectives sur les échanges interactionnels qui, pratiqués tels quels, aboutissent à une relation dysfonctionnelle. Sa contribution vise essentiellement à la recherche d'une théorie de l'interaction et l'étude de la proposition d'un changement thérapeutique de la relation qui se dessinent dans le De beneficiis. Dans une première partie, elle expose des fondements théoriques en recourant à des auteurs très divers (Bateson, Watzlawick ou encore Goffman). Dans une seconde partie, elle les applique au traité en se concentrant sur l'introduction et la conclusion de celui-ci, tout en demeurant consciente des limites d'une telle approche.

G. Raspanti propose un rapprochement entre le De obitu Theodosii d'Ambroise et le De clementia de Sénèque. Il observe tout d'abord la présence et l'organisation du concept de clementia dans l'oraison funèbre du Père de l'Église. Une attention particulière est réservée à l'excursus sur l'inventio crucis. Ensuite, il vérifie l'existence d'un dialogue intertextuel entre Ambroise et Sénèque (tantôt positif, tantôt négatif), tout en tenant compte de la distance culturelle qui les sépare. Son propos se clôture par un exposé du contexte historique et politique dans lequel prend place le texte d'Ambroise, ce qui permet de rendre compte des raisons de la présence de la clementia dans le traité et du recours à l'œuvre de Sénèque.

Enfin, L. Ricottilli s'intéresse aux représentations gestuelles dans les deux premiers livres du De beneficiis. Se fondant également sur la pragmatique de la communication, elle en présente d'abord certaines idées fondamentales (exposées également dans l'article de R. Raccanelli). Elle étudie ensuite les recommandations de Sénèque concernant la communication non verbale (informations gestuelles et paralinguistiques) qui accompagne le don. Sont examinées tant les modalités positives que négatives du côté du donateur et du donataire. Selon L. Ricottilli, Sénèque vise par ce biais à favoriser une relation symétrique ou pseudo-symétrique entre les agents.

Au terme de cette présentation des articles contenus dans cet ouvrage, plusieurs observations doivent encore être formulées. Au niveau formel, il aurait sans doute été souhaitable que tous les articles se réfèrent à une seule édition scientifique du traité de Sénèque (à tout le moins, il est nécessaire qu'une édition du texte soit mentionnée). En effet, à plusieurs reprises, le texte latin est cité fautivement dans quelques articles. Une relecture plus attentive aurait sans doute permis de corriger ces fautes de transcription ainsi que quelques autres. Un index des passages cités aurait également été commode en fin d'ouvrage. Il est également à noter que, bien que l'ouvrage porte un copyright de 2009, il n'a été disponible qu'à partir du début de l'année 2011. Au niveau du contenu, l'objectif de développer une méthodologie à la fois traditionnelle et originale semble effectivement rencontré. En témoigne notamment la large place accordée à la confrontation du texte de Sénèque avec des théories plus contemporaines (au premier rang desquelles figure la pragmatique de la communication). Si quelques contributions sont moins pertinentes (notamment en raison de leur manque de correspondance avec le sujet annoncé), d'autres cependant suscitent un réel intérêt et témoignent d'une riche documentation et d'une érudition stimulante. En dépit de plusieurs défauts formels, cet ouvrage constitue une contribution appréciable dont nous attendons avec impatience les ouvrages afférents, annoncés dans la préface.

Table des matières

Préface, pp. 7-8.
AVERNA Daniela, "Fortuna nel de beneficiis di Seneca", pp. 9-24.
CALABRESE Evita, "Il dono e la relazione pardre-figlio nella Fedradi Seneca", pp. 25-45.
CAROSSO Marinella, "Le relazioni di dono. Chiavi di lettura recenti di un classico dell'antropologia", pp. 47-95.
DALLE VEDOVE Eva, "Aspetti della presenza del dedicatario nel de beneficiis di Seneca e raffronto con le prefazioni di Seneca Padre", pp. 97-120.
DE CARO Antonio, "Voluntas luceat. Riconoscimento e riconoscenza nel beneficium,", pp. 121-158.
DUCCI Elena, "La rivalutazione del tempo nel de beneficiis. Analisi tematica dei libri I-II", pp. 159-172.
FACCHINI Giuliana Maria, MORATELLO Cinzia, "Donum-munus: dalle fonti letterarie alla documentazione archeologica. Alcuni esempi nell'arte suntuaria di età romana", pp. 173-183.
LENTANO Mario, "Come uccidere un padre (della patria): Seneca e l'ingratitudine di Bruto", pp. 185-209.
LI CAUSI Pietro, "Una mediazione conflittuale per una pratica della teoria. Dinamiche e funzioni dell'interlocutore immaginario in alcuni loci del de beneficiis di Seneca", pp. 211-231.
LO PICCOLO Maria, "Dentro e fuori il de beneficiis. Notazioni sui temi del beneficium e della clementia in Seneca e in Cicerone", pp. 233-244.
MARCHESE Rosa Rita, "Dignità e diseguaglianza. Il rispetto nella relazione fra benefattori e beneficati", pp. 245- 271.
MARINO Rosanna, "Lo 'stigma' dell'estraneità: il beneficium tra volontà e virtù", pp. 273-288.
PICONE Giusto, "Ercole e il serpente. Figure di ricordo, modelli mitici, modelli etici nel de beneficiis di Seneca", pp. 289-302.
RACCANELLI Renata, "Cambiare il dono: per una pragmatica delle relazioni nel de beneficiis senecano", pp. 303-356.
RASPANTI Giacomo, "Il de obitu Theodosii di Ambrogio e l'ideale senecano della clementia principis", pp. 357-398.
RICOTTILLI Licinia, "Aspetti della rappresentazione gestuale nel de beneficiis", pp. 399-429.


Notes:


1.   Picone (G.), "Ercole e Alessandro. Sen. De ben. 1.13", in Pan 7 (1981), pp. 135-144.

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