Friday, April 15, 2011

2011.04.32

Eric M. Orlin, Foreign Cults in Rome: Creating a Roman Empire. Oxford/New York: Oxford University Press, 2010. Pp. xi, 248. ISBN 9780199731558. $74.00.

Reviewed by Laurent Bricault, Université de Toulouse II-Le Mirail (bricault@univ-tlse2.fr)

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Eric Orlin propose dans cet ouvrage de synthèse le prolongement, sinon l'aboutissement, d'une réflexion entamée il y a plusieurs années et marquée déjà par deux publications importantes.1 L'esprit d'ouverture des Romains, leur capacité à intégrer des éléments exogènes de toutes natures (territoires, individus, cultes, pratiques culturelles), rappelés à maintes reprises dans le corps du volume, forment l'assise de la thèse soutenue par l'auteur. Cette politique, qui traverse les siècles de la République - seule période, avec le principat d'Auguste, prise en compte par E. Orlin dans ce travail, ce que l'on pourra regretter -, n'est pas sans conséquences pour la cohésion sociale et l'identité même de Rome, à mesure que les limites du territoire de la République s'éloignent chaque jour davantage de l'Vrbs. Qu'est-ce qu'être Romain quand Rome n'est plus qu'un point au centre d'une carte de plus en plus étendue que la Ville dessine elle-même au cours de son histoire. Pour E. Orlin, c'est au milieu du IIIe siècle av. J.-C. que Rome acquiert véritablement les éléments constitutifs de son identité propre, alliant construction sociale et perception subjective. L'acceptation, l'intégration de nombreux cultes étrangers ne sont évidemment pas étrangères à cette délimitation de la romanité qui s'affirme et s'affine à l'époque de la Deuxième guerre punique. Les méthodes utilisées par les Romains pour absorber certains cultes et leurs desservants, pour développer les rituels relatifs aux prodiges et aux expiations, les pratiques mises en œuvre lors des ludi participèrent à la définition d'une identité clairement établie, que les turbulences des Guerres civiles mirent à mal et qu'Auguste tenta de retrouver. C'est ce que l'auteur se propose d'examiner en sept chapitres d'une longueur quasi identique (environ 25 pages chacun).

Dans le premier chapitre, E. Orlin passe en revue les principaux cultes extérieurs (ultramarins, grecs mais aussi italiens) adoptés par les Romains durant les Ve et IVe siècles, s'arrêtant davantage sur le cas particulier de la Iuno regina de Veies et les conséquences de la dissolution de la Ligue latine après la victoire de 338, qui amena une véritable «crise d'identité» à Rome nécessitant une définition forte de la notion de romanité. Le chapitre 2 poursuit cette présentation jusqu'en 201, alors que Rome passe du statut de puissance régionale à celui de puissance méditerranéenne (mondiale dirait Orlin). Les contacts se multiplient alors avec le monde grec, en premier lieu par l'intermédiaire des cités de Grande Grèce, mais pas uniquement. L'introduction à Rome du culte d'Asklépios, venu en quelque sorte suppléer Apollo medicus lors de la peste de 293, est entreprise sous le contrôle des autorités, après consultation des Livres sibyllins et l'envoi d'une ambassade à Épidaure ; celle de Dis et Proserpine, aux environs de 249, est à replacer dans le contexte d'une Première guerre punique finissante, tandis que le débarquement de Magna Mater à Ostie s'inscrit dans la volonté romaine d'en finir avec Hannibal en intégrant par un geste fort les Italiotes. Politique, diplomatie et rapports culturels s'entrecroisent, s'entremêlent pour se mettre au service des préoccupations identitaires de Rome. Précédée de la consultation des decemviri, l'introduction de Cybèle et de son culte à Rome donne lieu à des cérémonies officielles largement documentées. En 191, un temple lui est dédié sur le Palatin, à l'intérieur du pomerium. Cependant, l'introduction d'une divinité nouvelle au cœur même de Rome ne peut s'opérer sans que ses desservants trouvent également place dans les structures de la religion officielle. Qu'il s'agisse des galles de la Grande mère, des haruspices étrusques ou des prêtresses chargées du rite grec de Cérès, tous ne sont pas admis de la même manière ni selon les mêmes modalités dans les institutions de la République. Ces différences permettent à l'auteur, dans un troisième chapitre, d'esquisser les premières frontières du concept de romanité qu'il cherche à définir. Elles se précisent dans les deux chapitres suivants, qui s'attachent à l'analyse des prodiges et des ludi, aux rapports évolutifs des hommes aux dieux. La multiplication des jeux en l'honneur de divinités souvent primitivement étrangères (Apollinares, Ceriales, Megalenses, etc.), en quelques décennies, illustre l'effort accompli par les Romains pour se retrouver, se reconnaître dans des festivités qui sont autant de célébrations, d'affirmations des caractères propre de l'identité qu'ils s'attribuent. Cette volonté est rendue d'autant plus prégnante que les contacts de plus en plus étroits avec le monde grec induits par les victoires militaires de la République posent bientôt le problème crucial de la part de grécité dans l'identité romaine. C'est pourquoi le chapitre six examine alors, entre autres, les épisodes de la répression des Bacchanalia de 186 et de la destruction des supposés livres de Numa en 181, qui illustrent la nécessité de définir en creux ce qui est non-romain, à commencer dans le domaine religieux, une volonté qui se traduit concrètement par l'usage accru de l'expression Graecus ritus. Mais, alors que Rome paraît avoir intégré le fait que son identité devait désormais transcender les murailles réelles et virtuelles de l'Vrbs pour s'étendre bien au-delà, survient la déflagration de la Guerre sociale qui, brutalement, accélère le processus, posant de manière violente la question de savoir vraiment et urgemment qui est Romain, qui en décide et en fonction de quels critères. Ces interrogations, auxquelles les leaders des factions qui s'opposent lors des guerres civiles apportent chacun une réponse centrée sur leur propre existence, traversent le siècle sans obtenir de réponse unanime. Dans cette lutte qui implique l'Orient et l'Occident, les recours à l'élément, sinon à l'outil, religieux sont fréquents et les cultes étrangers, tels les cultes isiaques, sont ainsi mis à contribution. Le dernier chapitre analyse cet éclatement du sentiment identitaire et la tentative augustéenne d'y remédier en utilisant notamment la limite du pomerium pour établir une frontière claire entre le Romain et le non-Romain. Les cultes isiaques, considérés comme étrangers, sans être interdits, sont ainsi refoulés hors de l'enceinte sacrée, selon une décision prise en 28. Dans le même temps, comme le rappellent les Res Gestae, Auguste lance un programme de restauration de 82 temples sis dans Rome,2 qui vise autant à consolider la mémoire physique de la ville que sa mémoire identitaire, chaque temple constituant à lui seul un élément de l'histoire et de la mémoire de Rome.

Si la synthèse proposée ici par E. Orlin n'apporte guère d'éléments qui ne soient déjà connus, c'est leur intégration au sein d'un modèle qui doit beaucoup à l'anthropologie et à la sociologie qui en fait toute la valeur. On pourra certes reprocher à l'auteur un certain systématisme propre à ce genre d'entreprise, qui ne convainc pas toujours lorsqu'il veut voir dans l'arrivée de chaque nouveau culte à Rome la résultante d'une volonté politique affichée et affirmée s'inscrivant dans une sorte de longue durée. Si, par moment, on aurait aimé que les chapitres soient un peu moins rigoureusement équilibrés pour laisser place à des analyses un peu plus fouillées, on appréciera particulièrement les deux derniers pour l'éclairage qu'ils apportent sur le dernier siècle de la République romaine. On saluera enfin la riche bibliographie de l'auteur, qui a su ne pas être essentiellement anglo-saxonne.3

Sommaire :

Introduction.
1. Foreign Cults in Rome.
2. Cult Introductions of the Third Century.
3. Foreign Priests in Rome.
4. Prodigies and Expiations.
5. Ludi.
6. Establishing Boundaries in the Second Century.
7. The Challenges of the First Century.
Conclusion.
Bibliography.
Index.


Notes:


1.   Eric M. Orlin, "Foreign Cults in Republican Rome: Rethinking the Pomerial Rule", Memoirs of the American Academy in Rome 47, 2002, 1-18 et id., "Octavian and Egyptian Cults: Redrawing the Boundaries of Romanness", American Journal of Philology 129.2, 2008, 231-253.
2.   Sur ce point et l'analyse du passage de Dion Cassius (LIII, 2, 4) qui rapporte les mesures prises par Octavien en 28, voir M. Malaise, "Octavien et les cultes isiaques à Rome en 28", in L. Bricault, R. Veymiers (éd.), Bibliotheca Isiaca II, Bordeaux, 2011 (sous presse).
3.   Signalons simplement, pour la dernière partie, les études de P. Cordier, "Dion Cassius et les phénomènes religieux ʽégyptiensʼ. Quelques suggestions pour un mode d'emploi", in L. Bricault, M. J. Versluys et P. Meyboom (éd.), Nile into Tiber: Egypt in the Roman World. Proceedings of the IIIrd International Conference of Isis Studies, Leiden, May 11-14 2005, RGRW 159, Leiden-Boston, 2007, 89-110 et M. J. Versluys, "Isis Capitolina and the Egyptian Cults in Late Republican Rome", in L. Bricault (éd.), Isis en Occident. Actes du IIe Colloque international sur les études isiaques, Lyon III, 16-17 mai 2002, RGRW 151, Leiden-Boston 2004, 421-448.

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